Olivier Faure : “Macron n’est pas Jupiter, c’est Janus”

Tribune parue dans Les Echos le 27/07/2017

 

Olivier Faure, président du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale

Député de Seine-et-Marne et président du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée, le socialiste Olivier Faure fustige les dix premières semaines d’ Emmanuel Macron à la tête de l’Etat. « Le double langage a remplacé la langue de bois. Ce n’est pas Jupiter, c’est Janus. Le dieu du ‘en même temps’ », raille-t-il, estimant que « rien de la promesse de rénovation n’est tenu ».

 

Quel regard portez-vous sur les débuts d’Emmanuel Macron à l’Elysée?

Je ne veux pas être définitif ni donner le sentiment de faire la leçon – notre défaite nous invite à la modestie – mais pour l’instant, rien de la promesse de rénovation n’est tenu. Y compris sur la moralisation de la vie publique, qui devait être un marqueur fort et se révèle très décevant. Heure après heure, cette majorité est devenue le principal frein au changement. Qu’il s’agisse du « verrou fiscal » de Bercy, du casier judiciaire vierge, de la place des lobbies ou des incompatibilités avec la fonction d’activité de conseil, les sujets sont innombrables où la majorité se refuse au changement alors qu’il y a un consensus possible avec tous les groupes.

Sur ce sujet comme beaucoup d’autres c’est le double langage qui a remplacé la langue de bois. Ce n’est pas Jupiter, c’est Janus. Le dieu du « en même temps », le dieu à deux visages. Cette locution verbale devait être le symbole d’une « pensée complexe » dépassant les clivages, elle se révèle être celui d’un président qui n’hésite pas à dire tout et son contraire, selon les lieux et les individus.

Sur la loi travail, n’y a-t-il pas pourtant une forme de continuité avec le précédent quinquennat ? François Hollande avait ouvert la voie…
La réforme du code du Travail qui se profile, c’est la reprise de tout ce que la majorité précédente avait refusé d’intégrer au texte El Khomri, notamment sur le plafonnement des indemnités prud’homales et le périmètre des licenciements économiques. Sur le plan économique, le gouvernement recycle davantage de très vieilles idées libérales qu’il n’est inspiré par le souffle de la nouveauté. En revanche, il y a de vraies ruptures : sur le plan budgétaire – comme sur la défense, l’éducation, le logement, l’aide au développement, la fiscalité – ou sur la façon dont il conçoit la vie démocratique – tout en verticalité, là où la démocratie exigerait plus d’horizontalité.

 

Accusez-vous Emmanuel Macron d’avoir berné les Français ?

D’avoir entretenu volontairement un flou. D’avoir conquis les coeurs et les esprits sur la promesse de renouveau, sans l’avoir jamais défini. Il est dans un rapport de séduction directe de l’opinion plus que de conviction, ce qui explique sa stratégie de contournement de tous les corps intermédiaires, y compris le parlement et la presse. Emmanuel Macron a repris à son compte la thèse des deux corps du roi : le premier, éternel et symbolique, le second temporel et matériel. Il s’occupe à plein temps à mettre en scène le premier et a confié le second à la technocratie de Bercy.

 

A vous entendre, tout serait à jeter…

Non, il y a d’indiscutables succès sur le plan diplomatique, notamment sur la Libye. Le problème, c’est qu’il paraît s’éloigner des préoccupations des Français. La décision sur les APL en est la démonstration.

 

Qu’attendez-vous aujourd’hui du chef de l’Etat ?

J’aimerais que ce qui a séduit les Français, l’idée du renouveau, se retrouve dans l’action conduite. J’aimerais que ce pouvoir, quand il commet une erreur, accepte de revenir en arrière et d’entendre ce que les Français lui disent. J’aimerais que les choix faits soient des choix de cohésion, donc de justice, et que plutôt que de faire les poches des locataires, des retraités, des fonctionnaires, des collectivités locales, on n’accorde pas deux milliards de cadeaux en réformant l’ISF.

 

Un président ne devrait pas avoir les yeux de Chimène pour les traders de la City et être aveugle sur la situation des salariés qui, aujourd’hui, vivent difficilement cette nouvelle loi travail dont personne ne perçoit l’efficacité sur le plan de la création d’emploi. Si la pente suivie par le binôme Le Maire-Darmanin se prolonge, les hommes et femmes de gauche qui ont fait confiance à Emmanuel Macron pourront se demander s’ils n’ont pas en réalité voté pour Alain Juppé.

 

L’exécutif, lui, dénonce l’« immobilisme » du précédent quinquennat…

Le coup de l’héritage, c’est de la vieille politique.

Face à Mélenchon, le PS peut-il espérer se reconstruire en refusant tout ce que propose un de ses anciens ministres ?
La question n’est pas de savoir comment occuper l’espace entre gauchisme plébiscitaire et libéralisme autoritaire, mais de rebâtir une offre à gauche qui parle aux électeurs de Hamon, Macron ou Mélenchon comme aux millions d’abstentionnistes qui ne croient plus au changement. Il ne s’agit pas de s’opposer à tout. Il faut rester disponible à tout ce qui pourra aller dans le bon sens. Mais encore faudrait-il que ce pouvoir-là ait envie de tendre la main à qui que ce soit.

 

 

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