Le groupe Nouvelle Gauche défend le service public ferroviaire

 

Après avoir réformé le code du Travail par ordonnance, le Gouvernement s’est attaqué au service public ferroviaire. Le groupe Nouvelle gauche s’est opposé à cette réforme qui  ne règle pas la question centrale de la dette, qui menace le maintien des petites lignes et qui surtout rend privatisable la SNCF. Christophe Bouillon, député de Seine-Maritime, explique en détail notre opposition à la réforme du rail.

 

Les usagers du train comme les Français se posent des questions très concrètes.

 

J’en vois au moins deux.

 

Est-ce que le gouvernement aurait pu éviter la grève ? Oui, je le crois. En évitant certaines provocations. La première vis-à-vis des assemblées en utilisant les ordonnances. L’argument de l’urgence ne tient pas. C’est le gouvernement qui maîtrise l’agenda parlementaire. Rien ne l’empêchait de mettre la réforme ferroviaire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, dès janvier. C’était même possible à l’issue des Assises de la Mobilité commencées en septembre 2017. D’ailleurs, le Sénat vient d’en faire la démonstration en examinant la proposition de loi d’Hervé Maurey sur l’ouverture à la concurrence du système ferroviaire. Il était tout à fait possible d’avoir un débat transparent, respectueux des parlementaires et des Français, sans avoir recours aux ordonnances. Le choix des ordonnances donne le sentiment que le gouvernement ne dit pas tout. Cela jette le trouble et laisse place aux interprétations. Il ne faut pas s’étonner que l’avenir des petites lignes ou encore la menace de la privatisation de la SNCF soient apparus dans le débat depuis.

 

La deuxième des provocations est vis-à-vis des cheminots en agitant comme un chiffon rouge la question de leur statut. Le quatrième paquet ferroviaire européen souvent appelé à la rescousse par le gouvernement, ne demande pas l’extinction du statut des cheminots. Il est écrit noir sur blanc que la question des personnels relève des législations nationales. On peut ouvrir à la concurrence sans supprimer le statut. En faisant cela, le gouvernement a cherché à stigmatiser les cheminots auprès de l’opinion publique.

 

Les cheminots ne sont pas des privilégiés. Loin s’en faut.

 

Il ne faut pas confondre organisation du travail, qui doit être améliorée pour gagner en productivité et en efficacité, et statut dont la garantie de l’emploi. D’ailleurs, les syndicats eux-mêmes ne sont pas hostiles à des évolutions. La preuve, depuis 2016, les négociations de la convention collective de la branche ferroviaire avancent à grands pas. En s’attaquant au statut des cheminots, le gouvernement n’a fait qu’attiser les tensions et créer un front syndical uni. On a vite compris ce que cachait cette stratégie. Les cheminots français sont symboliquement comparés aux mineurs anglais de l’époque Thatcher. Faire tomber leur statut, c’est, pour le gouvernement, ouvrir la voie demain à la disparition du statut de la fonction publique. Les digues auront sauté. Sauf qu’en préférant le totem, le gouvernement oublie les vrais problèmes.

 

D’ailleurs, la deuxième question que se posent les usagers et les Français, est : les trains arriveront-ils à l’heure ? On peut en douter car cette réforme ne s’attaque pas aux vrais problèmes.

 

Rien sur la dette qui pèse pourtant comme un fardeau pour la SNCF. Tous les ans le groupe public y consacre au moins 1,5 Mds d’euros. Cet argent-là n’est pas utilisé pour l’entretien des réseaux. Elle plombe les comptes de l’établissement public et l’empêche de voir l’avenir sereinement.

 

En 1997, elle était de 20 Mds d’euros. Elle atteint aujourd’hui presque les 50 Mds. Que s’est-il passé entre temps ? En 2009, le gouvernement de l’époque a décidé la réalisation de 4 lignes à grande vitesse. Résultat : 750 kilomètres de lignes en plus et une belle ardoise pour la SNCF. En 2014, nous avons voté la « règle d’or » pour l’endiguer. Celui qui décide est celui qui paye. Cette dette, inutile de la mettre sous le tapis, c’est la dette du pays. Il est temps que le gouvernement la récupère. Mais ce n’est plus suffisant aujourd’hui.

 

Cette réforme ne s’attaque pas non plus à l’entretien et à la régénération du réseau existant. Pourquoi les trains ralentissent ou connaissent de plus en plus de retard ? Principalement à cause de l’état de vétusté des voies, des appareils de voie et des rames elles-mêmes. Les pannes à répétitions en apportent malheureusement la preuve. Ce n’est pas un hasard si dans le contrat de performance signé entre l’Etat et SNCF Réseau, en avril 2017, il était prévu de consacrer 46 Mds d’euros à l’entretien des réseaux existants entre 2017-2026. Aujourd’hui, le gouvernement annonce 36 Mds d’euros sur la même période. C’est 10 de moins ! Pire, le gouvernement prévoit de construire de nouveaux tronçons qui coûteraient chers et dont la pertinence reste à prouver. J’en sais quelque chose avec le tronçon Yvetot-Rouen qui avoisine le milliard d’euros pour gagner seulement quatre minutes.

 

Cette réforme n’évoque pas non plus le système de signalisation ERTMS, qui, lui, contrairement à la fin du statut, est préconisé par l’Europe et qui peut doubler la capacité du réseau et résorber les nœuds ferroviaires à l’approche des grandes agglomérations.

 

Le gouvernement ne peut pas faire croire qu’il n’a pas vu venir l’ouverture à la concurrence. La création en Europe d’un système ferroviaire unique date de 1991 et s’est étalée depuis avec différents paquets ferroviaires (d’abord le fret puis les passagers). En 2016, la France a obtenu de l’Europe que le modèle choisi corresponde au modèle que nous connaissons bien puisqu’il existe depuis très longtemps dans le transport public urbain, celui de la délégation de service public.

 

Ce modèle n’empêche pas la constitution d’un grand groupe public ferroviaire. Depuis 2014, ce grand groupe existe, c’est la SNCF sous forme de 3 EPIC. Il est « eurocompatible ». Rien ne justifie aujourd’hui sa transformation en Société Anonyme. Si ce n’est de mauvaises intentions. L’histoire nous enseigne que la transformation en Société Anonyme est souvent l’amorce à la privatisation : GDF, EDF, ADP… Mais surtout, il faut maintenir SNCF Réseau en EPIC pour sanctuariser le réseau qui est le patrimoine de tous les Français.

 

On le voit bien. Comme un train peut en cacher un autre, cette réforme peut en cacher une autre. Voilà bien un sujet sur lequel il ne fallait pas faire de l’idéologie. La concurrence à tout prix n’est pas la panacée. En Allemagne, elle a plutôt réussi. En Angleterre, c’est plutôt le contraire. Il faut donc être pragmatique et chercher la solution qui nous correspond le mieux. Il y a une voie entre le statu quo et le chamboule-tout.

 

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Tribune parue sur le site www.paris-normandie.fr

 

 

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