Saisine du Conseil constitutionnel sur la loi “secret des affaires”

 

 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l’honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l’article 61 de la Constitution, l’ensemble de la proposition de loi litigieuse relative à la protection du secret des affaires telle qu’adoptée par le Parlement le 21 juin 2018.

 

Si votre juridiction a déduit de l’article 88-1 de la Constitution l’exigence de transposition des directives en droit interne, elle a néanmoins explicitement formulé une limite fondamentale en vertu de laquelle « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » (Décision 2006-540 DC, Cons. 19).

 

Or, il apparaît aux députés, auteurs de la présente saisine, que le texte qui vous est soumis, méconnaît à plusieurs titres des règles et principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France et tout particulièrement la liberté constitutionnelle de libre communication des pensées et des opinions.

 

I) Sur l’atteinte manifeste à la liberté constitutionnelle de libre communication des pensées et des opinions

La liberté d’expression occupe une place singulière au sein de notre édifice constitutionnel, qui découle du rôle de celle-ci en termes de garantie de la clarté du débat démocratique et de respect du principe de prééminence du droit. Ainsi les constituants de 1789 l’ont-ils érigée au rang de « droits les plus précieux de l’Homme » selon la formule de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel s’inscrit jusqu’à présent dans la droite ligne de cette tradition qui est devenue consubstantielle à notre identité constitutionnelle. Dans votre décision n°84-181 DC du 11 octobre 1984, vous aviez en effet considéré que, « s’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (Cons. 37). Vous avez plus récemment jugé que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » (Décision n° 2011-131 QPC, Cons. 3). Cette consécration solennelle s’est très concrètement traduite, dans votre jurisprudence, par l’édification d’une protection toute particulière fondée sur un régime juridique n’admettant de limitation à cette liberté qu’exceptionnelle et fondée sur la préservation d’autres droits et libertés fondamentales. Ainsi, « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté » sont soumises par votre juridiction à une triple condition puisqu’elles « doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » (Décision 2011-131 QPC, précitée).

Or, il apparaît, de manière manifeste, que la loi qui vous est présentement déférée autorise des limitations à l’exercice de la liberté d’expression qui ne sont ni adaptées, ni nécessaires, ni proportionnées à l’objectif poursuivi.

Les limitations instituées n’apparaissent nullement nécessaires. Il suffit pour s’en convaincre de constater que la protection juridique du secret des affaires existe d’ores et déjà dans notre droit positif (code de commerce, code la propriété intellectuelle, code pénal, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, notamment) ; que des procédures sont par ailleurs disponibles pour faire cesser toute atteinte à celui-ci et que les entreprises ayant intérêt à agir en ce domaine ne se privent aucunement de les utiliser.

Les atteintes à la liberté d’expression permises par le dispositif mis en place par la loi ne sont manifestement ni adaptées ni proportionnées à l’objectif de protection du secret des affaires. En effet, si le législateur poursuit un objectif parfaitement légitime, les moyens juridiques mis en oeuvre risquent d’être de nul effet dans la lutte contre l’espionnage industriel : en ce domaine, les informations collectées illégalement ont par nature intérêt à ne pas être révélées. Inadaptées car impropres à atteindre l’objectif affiché, les mesures présentement contestées risquent à l’inverse de produire des effets bien au-delà du champ de l’espionnage industriel et de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Rien, dans la loi, ne permet en effet de garantir que l’application de ces dispositions ne conduira pas à entraver la liberté des journalistes, des chercheurs, des salariés ou des lanceurs d’alerte dans le cas de divulgation d’informations revêtant un caractère d’intérêt général relatives, par exemple, à des opérations d’évitement fiscal, à des pratiques portant atteinte à l’environnement ou à la santé publique. Ainsi, les atteintes à la liberté d’expression permises par ce texte sont disproportionnées à plusieurs titres :

En premier lieu, le nouvel article L. 152-2-1 A du code de commerce institué par la présente loi crée une nouvelle procédure de référé destinée à « prévenir » une « atteinte imminente » au secret des affaires. Or, faute de garanties légales suffisantes, cette nouvelle voie juridictionnelle pourra inciter certaines entreprises à en faire un usage stratégique destiné à faire obstacle à la révélation d’informations d’intérêt public. En effet, en poursuivant de manière systématique toute personne susceptible de détenir et/ou de révéler des informations d’intérêt public portant atteinte à leur image, les entreprises concernées pourraient parvenir à faire produire à ses dispositions un effet dissuasif. Non seulement les sociétés de presse redouteront une procédure coûteuse, mais les salariés, les chercheurs et les citoyens souhaitant révéler de telles informations pourront craindre, à juste raison, de faire face à des entreprises disposant de moyens financiers et juridiques presque illimités.

Au demeurant, le législateur a bien perçu ce risque puisqu’il a prévu de sanctionner les procédures abusives et dilatoires intentées par de telles entreprises, mais en prévoyant des peines manifestement dépourvues de caractère dissuasif. Ainsi, le nouvel article L. 152-6 du code de commerce institué par la présente loi prévoit, pour un tel cas de figure, une amende civile d’un montant maximal de 20% des dommages et intérêts demandés ou de 60 000 euros, sommes que les grandes entreprises, et notamment les entreprises multinationales, n’auraient aucun mal à payer si elles permettaient de réduire les risques d’une révélation les concernant.

En second lieu, le nouvel article L. 153-1 du code de commerce institué par la présente loi prévoit que le contentieux relèvera, pour partie, de la compétence d’une instance civile en cas de procédure à l’égard d’une personne physique, d’une organisation syndicale ou d’une association et, pour partie, de la compétence des tribunaux de commerce lorsque le litige implique des sociétés commerciales, conformément aux dispositions de l’article 721-3 du code de commerce. Dès lors, en cas de contentieux entre une société commerciale s’estimant lésée et une société de presse dont le statut est celui de société commerciale, la compétence reviendra donc aux tribunaux de commerce. Or, ces derniers sont mieux à même d’apprécier les contraintes propres à l’exercice de la liberté d’entreprendre quand les juridictions civiles le sont davantage pour juger des atteintes potentielles à la liberté d’expression. En effet, des tribunaux de commerce, composés de juges non professionnels, bénévoles, choisis parmi des commerçants ou des dirigeants d’entreprises et élus par eux, ne sont pas de nature à assurer le respect des garanties procédurales dûes à la liberté d’expression en raison de leur partialité structurelle en faveur des entreprises. Au regard de ces considérations, la compétence des tribunaux ainsi retenue pourrait conduire des entreprises prétendument lésées par le travail d’un journaliste à privilégier une action à l’égard de son organe de presse employeur, mettant in fine à mal la liberté d’expression.

En troisième lieu, l’article L. 152-2-1 A du code de commerce, en permettant à un juge d’intervenir avant la révélation d’information par des organes de presse, institue une procédure de référé aux fins de prévenir les cas d’ « atteinte imminente » susceptible de produire « des effets équivalant à ceux d’un régime d’autorisation préalable » jugés inconstitutionnels par votre juridiction dans le domaine de la presse (Décision n°84-181 DC du 11 octobre 1984, considérant 81). Si ce contrôle revenait au juge – même judiciaire – une telle procédure a priori serait en effet de nature à inverser le régime protecteur de la liberté d’expression en créant un dispositif de censure préalable. Depuis la loi de 1881 relative à la liberté de la presse, et sans discontinuer depuis, il est constant que les limitations affectant cette liberté ne s’exercent qu’a posteriori créant ainsi au demeurant les conditions d’une consécration d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République en vertu de votre jurisprudence. Ce risque apparaît d’autant plus sérieux que les nouveaux articles L.151-3 et L.151-5 prévoient la constitution du délit dès l’obtention de l’information avec les atteintes au secret des sources qui pourraient in fine en découler.

En quatrième lieu, les limitations prévues par ce texte reposent sur la notion de « secret des affaires » sans que le législateur ait pris soin de la définir de manière suffisamment précise. En effet, la définition posée par le nouvel article L. 151-1 du code de commerce est particulièrement large et mal délimitée par des expressions qui empêchent d’en saisir la portée : l’information ne doit pas être « généralement connue » ou « aisément accessible » aux « personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ». Une telle définition laisse en conséquence une place démesurée à la subjectivité du juge. On relèvera dans le même sens que l’information est notamment protégée lorsqu’elle « revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ». Il ne s’agit donc pas ici d’informations se limitant au seul champ concurrentiel alors même que l’objectif affiché par le législateur européen est celui de la lutte contre l’espionnage économique (considérant 4 de la directive 2016/943). En conséquence, ce critère particulièrement flou de la « valeur potentielle », permettra en pratique de protéger une information à la simple convenance de l’entreprise. L’amplitude de la définition du secret des affaires est donc telle que n’importe quelle information interne pourrait être protégée, notamment les pratiques d’optimisation fiscale des entreprises ou l’impact de leurs activités sur la santé ou l’environnement. Pour ces raisons, la disposition critiquée, portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression est, en outre,  manifestement entachée d’incompétence négative.

Conscient des risques inhérents à son initiative, le législateur a prévu un régime dérogatoire à la protection du secret des affaires en vue, selon lui, de garantir l’exercice des droits fondamentaux, au nombre desquels figure le droit d’alerte, mais dont les contours sont tout aussi flous que ceux retenus pour la définition du secret des affaires. Ainsi, l’utilisation double de la locution « y compris » au nouvel article L. 151-7 du code de commerce institué par la présente loi, en vue d’articuler les droits en question, crée une ambiguïté préjudiciable à la lisibilité et à l’intelligibilité de la loi. Elle ne précise pas la lecture, restrictive ou cumulative des droits, qui doit en être faite par les juridictions. Ainsi, et à titre d’illustration, le législateur ne clarifie pas l’articulation entre les deux régimes d’alerte mentionnés au 2° dudit article, à savoir le nouveau régime d’alerte prévu par la présente loi et celui institué par l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Loi Sapin 2 »,  si bien qu’il n’est possible de savoir s’ils se cumulent ou si l’un constitue le sous-ensemble de l’autre. Or, ces deux régimes relèvent de procédures distinctes et offrent des droits et des garanties différents.

Il résulte du caractère flou de la notion du secret des affaires, de l’information protégée et du régime dérogatoire une impossibilité de cerner l’interprétation qui pourra en être faite, plaçant les individus concernés, qu’il s’agisse des journalistes, des salariés, des chercheurs ou des citoyens dans une situation d’insécurité juridique incompatible avec l’exercice nécessairement serein de la liberté d’expression. Ainsi, faute d’avoir fixé des limites claires et donc prévisibles à la liberté d’expression le législateur a donc manifestement méconnu l’étendue de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution et le principe constitutionnel de clarté de la loi.

Pour l’ensemble de ces raisons, le dispositif mis en place par le législateur apparaît manifestement contraire aux exigences qui sont les vôtres puisque le législateur inverse la logique même du régime de protection de la liberté d’expression en conditionnant son exercice par la préservation du secret des affaires. Aux antipodes de la volonté du Conseil constitutionnel de concilier les principes constitutionnels, la loi présentement déférée conduit de jure à subordonner la liberté d’expression à la liberté d’entreprendre.

 

II) Sur l’atteinte à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité.

La liberté d’entreprendre est un principe à valeur constitutionnelle découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Telle que précisée par votre jurisprudence, elle comprend non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique (Décision 84-172 DC,  Cons. 2 notamment) mais aussi la liberté d’exercer dans cette même profession et activité (Décision 89-268 DC, Cons. 40 notamment). Tel que précisé par vos décisions successives, le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’entreprendre s’applique tout en veillant, notamment, à ce que les personnes placées dans une même nouvelle situation juridique ne voient pas pour partie leurs droits et libertés constitutionnellement garantis affectés (Décision 2013-672 DC – Cons. 11 et 12 – et Décision 2013-682 DC – Cons. 44).

Or, précisément dans de nombreux secteurs de l’économie marchande, auxquels va s’appliquer directement le « secret des affaires » défini par l’article 1er de cette loi, coexistent sur des mêmes segments concurrentiels, selon la classification de l’INSEE, des micro-entreprises, petites ou moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises. A cet égard, il apparaît que la proposition de loi litigieuse, constitue à plusieurs titres une entrave aux principes constitutionnels sus-évoqués en ce qu’elle restreint l’information accessible aux autres personnes présentes sur un même marché économique. En effet, la définition du secret des affaires retenue par le législateur ne constitue pas une définition objective fixée par la loi (en listant de manière exhaustive les types d’informations précises relevant ou pouvant relever du secret des affaires), mais au contraire une définition induisant une subjectivité et une volonté consciente du détenteur de l’information en cause (elle doit faire l’objet de « mesures de protections raisonnables (…) pour en conserver le caractère secret). Elle n’est en outre nullement circonscrite aux seules informations disposant d’une valeur économique. Ceci induit donc que, selon leurs moyens humains et financiers, leurs capacités juridiques, des personnes placées dans une même situation et sur un même marché concurrentiel auraient ainsi des secrets des affaires à géométrie variable. Une même information, traitée différemment par la personne qui en est la détentrice légitime, pourrait ainsi être qualifiée de « secret des affaires » pour une grande entreprise alors qu’une petite et moyenne entreprise ou micro-entreprise n’en aurait pas les moyens, ni nécessairement la connaissance ou la conscience juridique qu’elle peut procéder ainsi. Cette définition aurait pour effet mécanique de garantir un secret des affaires maximaliste pour les grandes entreprises, alors que celles moins dotées auraient un secret des affaires nécessairement moindre en pratique.

En outre, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, les procédures baillons, les menaces de frais financiers et procéduraux que ces entreprises auraient à supporter face aux grandes entreprises (nécessairement mieux dotées en moyens juridiques, humains et financiers, à l’instar de ce qui est observable aux Etats-Unis) induisent une rupture d’égalité. En effet, en matière de droit de la propriété intellectuelle, de nombreux secteurs de l’économie connaissent une « guerre des brevets », avec l’apparition de « patent trolls » (« trolls de brevets »). Ainsi, une note publique de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, reprenant les inquiétudes d’un pan particulier de l’économie, indiquait notamment que « les jeunes pousses, les petites et moyennes entreprises technologiques sont impuissantes face aux grandes sociétés comme Google, Microsoft. » . Il convient de souligner qu’une entreprise dispose principalement de deux voies pour protéger des informations constituant sa propriété intellectuelle : un régime encore précaire, le secret, que ce texte vient renforcer, et le bénéfice d’un titre de propriété intellectuelle qui lui assure une protection pendant plusieurs années selon la nature et le régime juridique du titre. Il convient de relever que les droits de propriété intellectuelle ont été pensés pour concilier deux droits constitutionnels : le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, puisque, pour en bénéficier, l’entreprise doit impérativement consentir à divulguer à la collectivité les informations protégeables, qui deviennent dès lors librement consultables, puis librement utilisables commercialement à échéance du titre de propriété. Ce mécanisme contribue in fine à l’enrichissement commun, alors qu’à l’inverse le secret des affaires ne permet, par définition, aucune circulation de l’information. Or, dans ce contexte, la présente loi renforce le régime du secret au détriment du droit de la propriété intellectuelle qui aménage pourtant bien mieux les impératifs du droit de la propriété et la libre concurrence. Au demeurant, en permettant aux entreprises de conserver plus largement des informations qu’elles auraient sinon divulguées pour les protéger par l’obtention d’un titre de propriété intellectuelle, cette loi crée effectivement les conditions d’un déséquilibre au détriment de la liberté d’entreprendre. De même, il pourrait exister une incertitude juridique substantielle, en l’absence de délimitation précise entre le droit relatif au secret des affaires et celui relatif au droit de la propriété intellectuelle, en ce que des informations connexes à celles pouvant être protégées par un titre de propriété intellectuelle en l’état du droit positif pourraient dans le même temps être protégées par le secret des affaires.

Ainsi, les capacités d’innovation, de concurrence loyale, de lutte contre le pillage informationnel et technologique des micro-entreprises, petites et moyennes entreprises, entreprises de taille intermédiaire face aux très grandes entreprises, sont directement affectées de manière inadéquate, inappropriée et non proportionnée, en méconnaissance des principes constitutionnels sus-cités. En conséquence, tant les dispositions prévues aux sections 1, 2 et 3 du chapitre Ier que celles prévues aux chapitres II, III et IV de l’article 1er de la présente loi, relatives aux peines et procédures judiciaires visant à garantir la protection du secret des affaires, ont pour conséquences anticipables des entraves majeures à la liberté d’entreprendre et au principe d’égalité.

 

III) Sur l’atteinte au droit de participation des travailleurs.

Le droit à la participation des travailleurs est consacré au huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

La présente loi méconnaît ce principe à valeur constitutionnelle, en ce que le nouvel article L. 151-8  du code de commerce institué par la présente loi met en place un régime d’exception à la protection du secret des affaires pour les représentants des salariés, dont la portée très limitée représente une menace pour l’effectivité du droit de participation des travailleurs.

En effet, l’exception s’applique lorsque « l’obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants » et lorsque la « divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice ».

Ainsi, cet article crée une exception au bénéfice des représentants des salariés uniquement en ce qui concerne l’obtention de l’information protégée par le secret des affaires (1° dudit nouvel article L. 151-8 du code de commerce). Dès lors, toute utilisation ou divulgation reste soumise au régime de protection du secret des affaires instauré par ce texte, et pourra engager la responsabilité des représentants des salariés.

Or, le droit de participation des travailleurs s’exerce par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux et de leurs représentants du personnel. Dès lors, ces derniers ne doivent pas seulement pouvoir « obtenir » des informations nécessaires utiles aux travailleurs. Ils doivent également pouvoir les « divulguer” aux salariés, faute de quoi ce droit n’est effectivement plus garanti.

En conséquence, les dispositions du nouvel article L. 151-8 du code de commerce portent atteinte au droit de participation des travailleurs. Une telle atteinte est néanmoins possible à condition qu’elle soit proportionnée au but recherché.

Or, en l’espèce, les élus du personnel sont déjà soumis à une obligation de discrétion précisée à l’article L. 2315-3 du code du travail, qui dispose : « les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication.

Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur. »

Cette obligation de discrétion est par ailleurs plus respectueuse du droit à la participation, puisqu’elle prévoit une obligation expresse de l’employeur de préciser les informations qu’il souhaite maintenir confidentielles, ce qui évite toute forme d’auto-censure des représentants du personnel, qui découlerait mécaniquement du nouvel article L. 151-8 du code de commerce.

En l’état, la loi relative à la protection des affaires instaure donc un dédoublement d’obligations et de responsabilités potentielles qui risque de dissuader toute communication d’informations aux salariés, et donc d’affecter le droit à la participation des travailleurs de manière tout à fait disproportionnée – considérant donc qu’il existe déjà une obligation de discrétion efficace et équilibrée en matière d’informations confidentielles- .

Il est par ailleurs à souligner que le dix-huitième paragraphe de la directive 2016/943 ainsi transposée traite à la fois de l’obtention, l’utilisation et de la divulgation de secrets d’affaires dans le cadre de « l’exercice des droits des représentants des travailleurs à l’information, à la consultation et à la participation (…) et dans le cadre de la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs (…). ».

En conséquence, eu égard au fait que les obligations imposées par le nouvel article L. 151-8 du code de commerce institué par la présente loi empêcheront les représentants des salariés d’exercer pleinement leurs fonctions, et sont donc manifestement disproportionnées, cet article méconnaît le droit à la participation des travailleurs.

 

Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d’office, les auteurs de la saisine vous demandent de bien vouloir invalider les dispositions ainsi entachées d’inconstitutionnalité.

 

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil Constitutionnel, en l’expression de notre haute considération.

 

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