L’intervention de Boris Vallaud suite au Discours de Politique Générale du Premier Ministre le 12 Juin 2019

 

Monsieur le Premier ministre,

Vous venez donc chercher la confiance de la représentation nationale. Vous aurez à tout le moins celle de votre majorité, le plus docile des corps dociles du Président Macron. Que vaut-elle dès lors vraiment ?

D’ailleurs, quel est le sens de cette adresse au Parlement tant, depuis deux ans, vous l’avez tenu en mépris. Il faut admettre que nous étions instruits dès le discours au Congrès en juillet 2017 de votre conception de la démocratie : toute forme d’opposition serait tenue pour un refus de regarder le monde en face, tout désaccord pour une couardise, toute contradiction pour de la basse politique. Il faut dire que vous étiez en mission, mission de réparer cinquante ans de turpitude, de lâcheté et d’incompétence. Guidés par une forme de positivisme, de petite science, qui vous a fait croire que toute solution était d’évidence et que toute réforme était naturellement la plus grande et la plus belle depuis René Coty.

Bien mal vous en a pris et les Français vous l’ont rappelé en endossant le gilet jaune qui avait quelque chose du bonnet phrygien. Un épisode qui nous a tous interpelé, bousculé dans nos certitudes, à l’exception peut-être du Président lui-même accentuant son exercice plébiscitaire du pouvoir fait de rodomontades et de mise en scène de lui-même. Votre conclusion au grand débat pourrait prêter à sourire s’il n’était pas la synthèse diabolique de votre impasse : les Français veulent plus de nos réformes !

Vous aviez promis lors la campagne présidentielle d’écouter tout le monde, certains y ont cru, vous avez fini par n’écouter que vous-même. Débat parlementaire escamoté comme jamais, dialogue social brutalisé et partenaires sociaux méprisés, société civile déconsidérée, médias vouées aux gémonies. S’il est une leçon de votre majorité que chacun aura compris, c’est celle-ci : Quand on n’est pas avec le Président Macron, on est contre la France.

Vous êtes les spécialistes des débats interdits, des débats tronqués, des débats caricaturés. En proclamant « moi ou le chaos », vous préparez le chaos. En pensant sauver l’essentiel, l’essentiel est devenu pour vous de vous sauver ! Prenez garde, si avant vous il n’y avait pas d’avant, après vous y aura-t-il un après ?

Ainsi instruits de votre pratique du pouvoir, comme de vos intentions en matière de réforme institutionnelle, avilir encore un peu plus le Parlement, brider le Référendum d’Initiative Partagée, réduire les droits de l’opposition, c’est-à-dire la souveraineté nationale, nous ne saurions vous accorder notre confiance et venir ainsi à vous la corde au cou comme les bourgeois de Calais. Dans l’opposition, notre ministère, monsieur le Premier ministre, vous le considèrerez selon, modeste ou encombrant, est celui de la parole, nous n’entendons pas en céder un pouce.

Alors que la cinquième République est à bout de souffle, c’est à une démocratie vivante que nous aspirons là où, au nom de l’efficacité et du pragmatisme vous n’en avez qu’une vision étriquée. Plus de pouvoir au Parlement, un Premier ministre qui véritablement détermine et conduit la politique de la nation et pas seulement un carreau au travers duquel on voit le Président, une démocratie sociale renouvelée, une démocratie citoyenne instituée, des contrepouvoirs protégés, voilà le chemin que nous voulons, il se sépare du vôtre !

 

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Je crains aussi que nos chemins ne se séparent sur ce que nous avions imaginé demeurer de ciment entre nous.

Je pense à la question migratoire, aux atteintes au droit d’asile, aux vilénies indignes faites aux migrants, aux ports fermés à l’Aquarius, à ses femmes enceintes et à leurs enfants. En dépit des circonstance de l’élection présidentielle, face à l’extrême droite, nous ne nous sommes pas retrouvés, comme Aron et Sartre, pourtant il en allait d’« une cause strictement humaine ».

Je pense à la situation des civils yéménites, victimes de cette guerre immonde conduite par l’Arabie Saoudite et au soupçon que nos armes, celles vendues par la France, ne servent à ce massacre. Un soupçon, qui a tout le moins commande de suspendre les exportations. La Belgique, l’Allemagne, le Canada s’y sont résolues. C’est une supplique qui résonne dans tout le pays et sur tous les bancs de cette Assemblée que vous refusez d’entendre.

Je pense à ce vent mauvais qui souffle sur la liberté de la presse. Je pense aux tentatives de perquisition, aux convocations de journalistes devant la DGSI, aux brutalités qui leur sont parfois faites dans les manifestations. Le gouvernement ne peut pas avoir pour toute réponse que les journalistes sont des justiciables comme les autres, car cela est faux. Je pense aussi à ce que les lois « fake news » ou « Secret des affaires » auront entamé de liberté d’informer. Je pense aux accusations portées au sommet de l’Etat selon lesquelles la presse ne chercherait plus la vérité.

Je pense à cette loi de circonstance, dite anticasseurs, aveux d’impuissance du gouvernement débordé par des violences inqualifiables et condamnables sans réserve mais qui portait une atteinte excessive à la liberté de manifester. La République, monsieur le Premier ministre, vit de libertés. Moins de libertés, c’est toujours moins de république.

Je pense aux droits des femmes, proclamés plus souvent qu’à leur tour, mais si peu entendus. A Bruxelles avec le congé parental, ou comme hier soir au Sénat lorsque l’on parle d’interruption volontaire de grossesse.

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Monsieur le Premier ministre, nous ne divergeons pas seulement sur votre conception de l’exercice du pouvoir ou des libertés publiques, c’est une façon de voir le monde qui nous sépare irrémédiablement.

La suppression de l’ISF et la baisse des APL n’étaient pas des erreurs de jeunesse, elles trahissaient de façon claire l’idée que vous vous faites d’un monde partagé entre les gagnants de la mondialisation et ceux qui pourraient servir leur train de vie, entre les premiers de cordée et les derniers de cordée. Il y a dans votre conception libérale de la société l’idée que l’on serait responsable de son sort et que l’on pourrait dès lors abandonner les gens à ce que vous pensez être leur destin de perdant. Ceux qui ne font rien et qui donc ne sont rien. Votre ordre de priorité, il est établi dans votre budget : 8 milliards pour le plan pauvreté, 25 milliards pour le plan richesse.

Rien par exemple dans les mesures prises au lendemain du mouvement des gilets jaunes ne sera venu renforcer la justice fiscale, rééquilibrer la taxation du capital et du travail, demander les efforts supplémentaires attendus des plus fortunés.

C’est là votre conception des choses. Considérer la ligne de départ et jamais la ligne d’arrivée, admettre les inégalités pourvues que vous les teniez pour justes. Le travail doit payer pour ceux qui travaillent. Pour ceux qui ne travaillent pas, c’est pour vous qu’ils s’abîment dans l’oisiveté coupable et confortable, des emplois aidés, des minimas sociaux et des allocations chômage, alors qu’il existe tant de mini-jobs de l’autre côté de la rue.

Tout transpire dans votre politique cette conception des choses : votre réforme du marché du travail, la facilitation du licenciement, l’affaiblissement du dialogue social, consacre la dualité du marché du travail. Gros salaires et grosses protections pour les uns, petits salaires et petites protections pour les autres… une société de travailleurs pauvres et d’emplois de mauvaise qualité, et si seulement ceux-là pouvaient compter sur une politique de prévention de la pénibilité qui au moment de la retraite leur rende justice, mais c’est peine perdue puisque vous y avez renoncé, en supprimant le compte de prévention de la pénibilité. Et d’ailleurs qui peut dire ce que sera leur retraite puisque le gouvernement n’en fini plus de brouiller les cartes pour reculer dans les faits l’âge du départ à la retraite ?

Et voilà désormais, avec la réforme de l’assurance chômage, que vous tournez le dos au welfare state, à l’Etat providence à la française, à notre tradition sociale, pour ouvrir les bras au work fare anglo-saxon et à ses irrémédiables dégâts. Votre fétichisme vous aveugle. Nous ne pouvons vous suivre dans votre aveuglement.

 

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Au moins cette ligne a le mérite de la clarté, et vos paroles conformes aux actes, là où en d’autres matières, il en va exactement à l’inverse. Vous affirmez être à la pointe du combat pour la préservation de l’environnement mais conduisez Nicolas Hulot à la démission, vous êtes à la traine s’agissant de la mise en œuvre de la stratégie bas carbone. Vous manquez de volonté et souvent de courage comme lorsque vous refusez  d’inscrire dans la loi la date d’interdiction du Glyphosate, ou lorsque vous repoussez l’interdiction d’exportation de produits dont l’usage est proscrit en France. La rénovation thermique des logements est à la peine, le développement des énergies renouvelables insuffisants, la jeunesse vous le crie chaque vendredi. Vous lui répondez par des selfies…

Parfois vous semblez faire, mais le plus souvent, en la matière, vous faites le plus souvent semblant.

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Comment dès lors vous accorder notre confiance. Car ce serait à travers nous vous accorder la confiance des Françaises et des Français.

Vous accorder la confiance des enseignants, qui se défient d’un ministre qui les caporalise, les mésestime, n’accepte les évaluations que pour les autres et jamais pour lui-même ? Les bons mots ne cachent plus les mauvaises intentions : la remise en cause de la démocratisation scolaire.

Vous accorder la confiance des médecins urgentistes et des personnels hospitaliers qui disent qu’ils sont à bout et à qui l’on envoie les forces de l’ordre pour les réquisitionner ? On ne peut plus faire mieux avec moins. Prétendre que votre projet ma santé 2022 va tout régler, c’est payer de fausses promesses avec de la fausse monnaie.

Vous accorder la confiance des gendarmes et des policiers, engagés sans réserve jusqu’à l’épuisement, éprouvés par la lutte contre le terrorisme, éprouvés par la violence des manifestations, et qui se demandent s’ils ont un ministre ?

Vous accorder le soutien des fonctionnaires, en sommes, alors que vous cédez à toutes les caricatures de la marée montante du fonctionnarisme ? Que vous n’avez pas renoncé à supprimer 120.000 postes et autant de services publics ? Et que bradant le statut de la fonction publique, un statut patiemment construit, vous atteignez au bon exercice de l’intérêt général et à la l’ordre républicain.

Vous accorder le soutien des agriculteurs qui se désespèrent que la loi Egalim produise ses premiers effets ? Des salariés et ouvriers qui savent que de politique industrielle vous n’avez que celle du désengagement de l’Etat, comme avec Renault, comme avec ADP, et que les effets de manche des ministres n’empêcheront rien aux catastrophes qui s’annoncent après celles d’Arjowigins, de Ford, de GE, d’Auchan, de la Souterraine…

Vous accorder le soutien des retraités, de la jeunesse, des associations, des maires ? J’ai beau chercher. Vous accorder notre confiance n’est pas possible. Qui représenterions nous, si nous vous accordions aujourd’hui une confiance que le peuple dans sa grande majorité ne vous accorde pas ?

Pour nous, députés socialistes et apparentés, vous avez donné à voir ce que vous êtes : des libéraux et des conservateurs. Vous êtes la droite, nous sommes la gauche. Vous vous êtes mis au service quelques-uns, de ceux qui prétendent faire l’histoire, nous resterons au service de ceux qui la subissent, et de la République jusqu’au bout.

 

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