Les interventions des députés socialistes et apparentés sur le PLFSS 2020

Intervention de Joel Aviragnet

Nous devions examiner cette année le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale faisant état d’un retour des excédents budgétaires, après dix-huit années de déficits. En effet, selon les projections effectuées par le Gouvernement en 2018, le régime général de la sécurité sociale aurait dû être excédentaire de 3,3 milliards d’euros en 2019 et de 6,3 milliards en 2020. Cet automne aurait dû être celui où le Parlement votait de nouveaux droits pour la protection sociale des Françaises et des Français, celui où l’on faisait de la perte d’autonomie un nouveau risque social, celui enfin où l’on aurait pu envisager de nouveaux investissements à l’hôpital public et dans les services d’urgences.

Cette aspiration aura été de courte durée puisque le budget de la sécurité sociale est de nouveau dans le rouge. Toutefois, ce qui est inédit, c’est que rien ne justifie ce déficit inattendu. L’économie française se porte bien, le chômage recule et les taux d’intérêt sont négatifs. En somme, tous les indicateurs économiques sont au vert.

Alors pourquoi la sécurité sociale voit-elle son déficit s’établir à nouveau dans le rouge ? Moins 5,5 milliards d’euros en 2019, moins 5,6 milliards en 2020 ! La réponse est simple : parce que le Gouvernement n’a pas pris ses responsabilités, parce que le Gouvernement a refusé d’assumer ses choix politiques. Rappelons que, fin 2018, ce gouvernement a décidé de prendre plusieurs mesures d’urgence pour répondre à la crise sociale. La quasi-totalité de ces mesures consistaient à accorder des exonérations de cotisations aux travailleurs et aux entreprises. Ces mesures sont la résultante d’un choix politique du Gouvernement : répondre à la crise sociale par une politique de l’offre, c’est-à-dire une politique libérale, en estimant qu’il convient de relancer l’économie en baissant les cotisations sociales, considérées comme des obstacles au développement économique.

Si je m’oppose radicalement à ce choix politique, il n’en demeure pas moins qu’il vous oblige : si vous l’aviez assumé, vous auriez dû en prendre toute la responsabilité et rembourser à la sécurité sociale les pertes que vous lui avez fait subir. Tel est le sens de la loi Veil de 1994 : il vous impose de compenser au bénéfice de la sécurité sociale toute mesure de réduction ou d’exonération de cotisations. En refusant de respecter la loi Veil, vous portez gravement atteinte à l’un de ses principes fondateurs : le principe d’autonomie vis-à-vis de l’État. En passant outre la loi Veil, vous fragilisez notre système de protection sociale, vous affaiblissez notre justice sociale. Vous prétendez ne pas opérer de compensation pour respecter les engagements européens de la France, mais cela ne peut se faire au détriment de la protection sociale de nos concitoyens.

Faut-il vous rappeler qu’au début des années 2000, l’OMS – l’Organisation mondiale de la santé – considérait le système de santé en France comme le meilleur au monde ? Désormais nous en sommes loin : nos hôpitaux sont au bord de l’implosion ; les urgences sont en grève partout en France ; la pédiatrie fait face à une tension sans précédent en région parisienne.

Le groupe Socialistes et apparentés ne se résigne pas face à cette situation. Aussi ferons-nous plusieurs propositions afin de relever le défi d’une protection sociale renforcée.

D’abord, nous demandons la compensation totale des différentes mesures d’exonération de cotisations, à savoir 4,3 milliards d’euros selon le chiffrage de la Cour des comptes.

Ensuite nous demandons qu’un effort budgétaire soit consenti en faveur de l’hôpital public et des services d’urgence. Nous considérons l’ONDAM hospitalier, que vous avez fixé à 2,1 %, comme proprement indigent et remettant sérieusement en question la qualité des soins dans notre pays. Les Français ont démontré, lors du grand débat, leur attachement à l’hôpital public et à la santé ; il est temps d’écouter ce message et d’y répondre par une augmentation du budget alloué aux établissements de santé.

Enfin, il faut revenir sur la désindexation des pensions de retraite et des prestations familiales, car une nouvelle fois, vous vous attaquez au pouvoir d’achat des retraités et des familles. En effet, alors que l’inflation sera de 1 % en 2020, vous proposez pour l’année prochaine un quasi-gel des prestations familiales et des pensions de retraite, ce qui est inacceptable. Cette politique de diminution du reste à vivre des Français a d’ores et déjà été jugée sévèrement par l’INSEE dans une étude publiée la semaine dernière qui souligne que votre politique économique a augmenté le taux de pauvreté en France et aggravé les inégalités dans des proportions qui n’avaient pas été observées depuis les années 70. J’insiste : dans des proportions qui n’avaient pas été observées depuis les années 70 !

 

 


Intervention de Boris Vallaud

 

Au-delà de l’appétence personnelle, cela est sans doute consubstantiel à la fonction : après tout, on ne demande pas au préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi de dire autre chose que le catéchisme. Mais, face à cela, nous avons besoin d’une ministre hérétique qui, d’une certaine manière, résiste.

Depuis dix-huit mois, dans les services d’urgence comme dans tous les services publics d’un hôpital gravement malade, c’est l’alarme. Les médecins, les infirmiers, les aide-soignants, tous nous le disent à l’unisson, avec gravité et une infinie responsabilité : ils ne peuvent plus assurer leurs missions dans de bonnes conditions. Les effectifs, l’investissement et parfois même les lits manquent. La charge de l’activité et la souffrance au travail s’accroissent, et la qualité des soins s’en ressent.

Nous en sommes là, vous comme ministre, et nous comme parlementaires. Convenons, les uns et les autres, que nous avons demandé beaucoup d’efforts à l’hôpital depuis vingt ans. Les personnels de santé, que vous connaissez bien, ont consenti des efforts considérables en raison de la charge de travail qui n’a cessé de s’accroître. Convenons ensemble que nous en arrivons à un point de rupture. Les effectifs ont augmenté de 2 % au cours des dix dernières années alors que l’activité à l’hôpital augmentait de 15 %.

La population augmente, elle vieillit. Les progrès de la médecine permettent de prendre en charge de nouvelles pathologies. Seulement voilà, les personnels des hôpitaux nous disent qu’ils ne peuvent plus faire mieux avec moins.

Dans ce contexte, le niveau de l’ONDAM que vous proposez tient de la vexation, pour ne pas dire de la provocation, puisque vous demandez à nouveau des efforts et des économies à l’hôpital public et au personnel soignant.

L’hôpital public est un trésor national, dites-vous, madame la ministre. Vous avez raison. C’est parce qu’il est notre bien commun que je voudrais ici, au nom du groupe Socialistes et apparentés, formuler quelques propositions qui constituent l’ossature de ce que pourrait être un plan d’urgence pour l’hôpital.

Première proposition : soutenir massivement l’investissement à l’hôpital. Nous sommes devant une situation paradoxale : pour le plan hôpital 2007-2012, nous avons investi au moment où les taux d’intérêt étaient les plus élevés, et à présent que les taux d’intérêt sont négatifs, nous désinvestissons au point que le sous-investissement devient extrêmement préoccupant et obère les conditions d’un bon exercice des missions de l’hôpital public.

Nous préconisons trois solutions pour y remédier. Premièrement, nous proposons que tous les centres hospitaliers puissent faire comme l’AP-HP et emprunter sur les marchés financiers à des taux d’intérêt négatifs plutôt qu’auprès des banques. Deuxièmement, nous proposons que la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, reprenne 10 des 30 milliards d’euros de dette, afin de libérer des capacités d’autofinancement des établissements. Troisièmement, nous proposons que les concours financiers à ces établissements soient augmentés de 1,5 milliard d’euros par an afin de porter l’investissement annuel dans nos hôpitaux à 6 milliards d’euros, ce qui correspond à peu près à l’évaluation faite par le candidat Emmanuel Macron lors des élections présidentielles.

Deuxième proposition : augmenter le budget de l’hôpital et porter l’ONDAM à 3,1 %. Ces 840 millions d’euros supplémentaires permettraient de prendre de vraies mesures catégorielles pour soutenir le pouvoir d’achat de professionnels qui sont parmi les moins bien payés de l’OCDE, pour examiner sérieusement la question des effectifs et des lits d’hôpital dans le cadre d’un dialogue entre les ARS et les établissements.

Troisième proposition : s’engager à ne supprimer aucun poste de personnels travaillant au lit du malade. Pour ce faire, nous devons abroger une norme que nous n’avons jamais votée : le taux d’un soignant pour quinze malades vers lequel les établissements sont incités à tendre par la direction générale de l’offre de soins, la DGOS. C’est intenable et cela aboutit à des situations inextricables. Cela peut même conduire à des suppressions massives de postes, comme on l’a vu lors de la construction de l’hôpital Grand Paris-Nord ou de l’hôpital de Nantes.

Compte tenu de la surprévalence du burn-out à l’hôpital, nous proposons de lancer une grande enquête sur les conditions de vie au travail. À partir de cette enquête, nous pourrons discuter de l’ONDAM, qu’il est nécessaire de réformer car il est devenu exclusivement un instrument de pilotage budgétaire alors qu’il devrait être un outil politique de santé publique.

Nous demandons aussi des états généraux de l’hôpital pour tout remettre à plat de façon pluraliste, c’est-à-dire avec vous, madame la ministre, et avec les organisations syndicales, les patients, les collectifs et les parlementaires.

Ces propositions, madame la ministre, peuvent être financées par un report de deux ans du financement de la dette sociale. La CADES peut s’éteindre deux ans plus tard que l’échéance prévue de 2024. Ce report n’obérerait pas du tout nos comptes publics. Nous y ajoutons les compensations que l’État doit à la sécurité sociale.


Intervention de Gisèle Biémouret

Nous commençons aujourd’hui l’examen du troisième PLFSS du quinquennat, dans le contexte d’une crise sans précédent de notre système de soins doublée d’une crise sociale majeure. Ce PLFSS en dit long sur la manière dont vous envisagez l’avenir de notre système de protection sociale.

Pour commencer, il restera entaché par un retour au déficit : c’est le résultat d’un assèchement délibéré des recettes de la sécurité sociale qui scelle le renoncement à la compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales instaurée par la loi Veil de 1994. Il fait l’unanimité contre lui puisque les partenaires sociaux, le monde associatif et les personnels soignants convergent de manière inédite pour réclamer une revalorisation de l’ONDAM permettant de répondre aux besoins immenses des hôpitaux, des urgences, des EHPAD et de l’aide à domicile.

Les efforts considérables consentis par les Français et les établissements de santé pendant le dernier quinquennat ont porté leurs fruits, puisque le déficit annuel de la sécurité sociale est passé de plus de 20 milliards d’euros à moins de 2 milliards. Ce ne serait que justice qu’ils obtiennent quelque chose en retour. Mais vous avez choisi de privilégier une vision ultralibérale de notre modèle. François Mitterrand l’avait prédite, qui déclarait : « Ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la sécurité sociale, car ceux qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Nous sommes arrivés à ce moment de fragilisation extrême, qui résulte de vos choix budgétaires depuis deux ans et demi.

Au cours de ce débat, nous aurons pourtant l’occasion de montrer aux Français qu’il existe d’autres chemins permettant de consolider notre modèle de protection sociale en cessant de le considérer comme défaillant et coûteux pour mieux le mettre à mal.

Certes, ce PLFSS comporte quelques mesures intéressantes comme l’indemnisation du congé de proche aidant, la complémentaire santé solidaire ou la consolidation du système de garantie des pensions alimentaires impayées mis en place en 2016 – des mesures toutefois peu coûteuses, dont vous saurez sûrement faire un outil de communication pour habiller de social l’ensemble du texte. Mais ne nous y trompons pas : il n’est pas beaucoup question de social dans ce texte, qui recherche avant tout les économies.

Ainsi, alors que vous portez le montant de l’AAH – l’allocation aux adultes handicapés – à 900 euros, vous associez à cette revalorisation une contrepartie qui exclura plus de 67 000 allocataires du dispositif en abaissant le plafond de ressources à 81 % de l’AAH pour les couples. De plus, le complément de ressources de 179 euros destiné aux personnes les plus lourdement handicapées sera supprimé à partir du mois de décembre et les nouveaux bénéficiaires de l’AAH n’y auront pas droit.

Vous mettez en place une complémentaire santé dans le but de limiter le renoncement aux soins, reprenant ainsi une grande partie des propositions de l’association ATD Quart Monde. Mais vous annoncez vouloir instaurer un délai de carence de trois mois dans le cadre de l’aide médicale pour les demandeurs d’asile, contribuant à l’aggravation de santé des plus pauvres parmi les pauvres.

Vous gelez la revalorisation des prestations sociales et familiales à 0,3 % alors même que l’inflation est estimée à 1,2 % pour 2020, ce qui va entraîner une perte de pouvoir d’achat pour des publics déjà fragilisés. Pour la deuxième année consécutive, la revalorisation du RSA restera donc sous l’inflation, consacrant ainsi une très faible redistribution en faveur des 4 millions de ménages les plus pauvres.

À quoi bon, dans ce cas, élaborer une stratégie pauvreté centrée sur les enfants, lorsque l’on sait que les faibles ressources de leurs parents leur donneront une vie différente des autres, notamment en termes de conditions de logement, d’études, d’accès aux sorties et aux loisirs ? Les petits déjeuners gratuits et un accès privilégié à la cantine ne les empêcheront pas de subir le fait d’être nés au mauvais endroit du point de vue des revenus. Le collectif Alerte, qui regroupe des associations de lutte contre l’exclusion, l’a souligné en septembre dernier : les plus pauvres sont dans l’angle mort de la stratégie gouvernementale.

Je citerai pour conclure les signataires de la tribune publiée aujourd’hui en défense de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale créé sous Lionel Jospin, que vous envisagez de supprimer alors qu’il fournit un travail remarquable : il ne suffit pas de « casser le thermomètre pour ne plus voir le malade ». C’est pourtant la philosophie de ce PLFSS. Il est encore temps d’y remédier avant que soit atteint le point de rupture.

 

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