Loi Séparatisme – La position des députés socialistes et apparentés

Discours de Boris Vallaud – Explication de vote sur le projet de loi dit de “lutte contre les séparatismes”

Nous voilà donc au terme de l’examen en première lecture de ce qui avait été annoncé comme la grande loi visant à lutter contre le séparatisme. Les débats, dont je salue globalement la tenue, n’auront pas permis de lever la circonspection qui était la nôtre et le sentiment confus d’un rendez-vous manqué.

L’équilibre du discours du président de la République aux Mureaux, que nous avions comme beaucoup d’autres salué, a été perdu de vue et les annonces la semaine dernière sur l’égalité des chances ne sauraient tenir lieu de réponse à notre déception et à celles de beaucoup de nos compatriotes. Comme souvent depuis le début de ce quinquennat, il y a la main droite, le poing fermé, mais la main gauche qui reste tapie au fond de votre poche… 

Vivrons-nous mieux ensemble demain avec cette loi ? Nous permettra-t-elle de surmonter cette fracture : le repli des uns et l’entre soi des autres, de ramener à la République par la République en actes celles et ceux qui la défient ou s’en défient ? Permettra-t-elle de tenir cet équilibre exigeant qui est celui de la « République jusqu’au bout » pour reprendre la formule du grand Jaurès, de l’ordre républicain d’un côté et de la promesse républicaine de l’autre ? Il est permis d’en douter.

Depuis 2012, la France a été frappée durement par ses ennemis et les cicatrices qui demeurent nous obligent. Nous sommes et nous devons demeurer sans complaisance vis-à-vis des séparatismes, vis-à-vis de l’islamisme radical, vis-à-vis du terrorisme. N’ayez à ce sujet pas le moindre doute sur notre détermination. Nous sommes attachés par notre histoire au respect des principes de la République, au respect et à la protection contre les attaques dont ils sont les objets, de celles et de ceux, femmes et hommes, qui la servent avec fierté et qu’il me soit permis ici de saluer nos fonctionnaires de polices et de gendarmeries, nos militaires, nos professeurs, ces hussards d’hier comme d’aujourd’hui, nos personnels soignants et toutes celles et tous ceux qui ont choisi le service de l’intérêt général et au fond d’être fidèle à un certain « esprit de résistance ». Quel noble engagement ! Nous sommes attachés à la laïcité, fidèle à l’héritage de Jaurès, de Briand de Ferdinand Buisson, cette liberté de croire ou de ne pas croire, elle est notre oxygène pour vivre ensemble dans le respect de nos différences et notre commune humanité. Nous sommes attachés à la dignité humaine, contre toutes les pratiques indignes et avilissantes en particulier contre les femmes. 

Voilà pourquoi, vous nous avez trouvé à vos côtés pour soutenir plusieurs dispositions de ce texte.  Sur le renforcement des obligations de neutralité de toutes les personnes qui contribuent à l’exécution d’une mission de service public. Sur la protection fonctionnelle des agents publics. 

Nous avons approuvé également un contrôle renforcé des financements des associations cultuelles, sujet déjà âprement débattu en 1905 par la voix notamment de Paul Deschanel.

Nous avons bien évidemment appuyé des dispositions visant à lutter contre les violences faites aux femmes, qu’il s’agisse de prétendus certificats de virginité, de mariages forcés ou de polygamie.

Et quelques-uns de nos amendements ont trouvé grâce à vos yeux. Tant mieux.

C’est un soutien qui est aussi teinté de circonspection car dans bien des cas l’effectivité de vos mesures est évidemment en cause. Mais nous sommes aussi attachés viscéralement à la liberté, à l’équilibre des lois qui les fondent, la liberté pas seulement comme un mot, mais comme un principe de vie en commun. De ce point de vue, je ne crois pas que l’on puisse comparer la loi dont nous avons débattu aux grandes lois libérales de 1901 et de 1905, des lois de compromis, des lois de libertés. D’ailleurs, représentants associatifs, cultes, défenseur des droits, CNCDH se sont inquiétés de ces dispositions.

C’est aussi parce que nous connaissons l’histoire que nous avons l’obsession qu’après nous, aucune réaction ne se serve de l’ordre républicain que nous aurions bâti pour se retourner contre la république elle-même. Il n’y a pas d’un côté les mous et de l’autres les durs, il y a d’un côté les républicains et de l’autre ses ennemis qui ne s’achètent jamais pour longtemps une vertu. Aucun badinage télévisé ne devrait nous le faire oublier.

Nous ne sommes pas convaincus, vous le savez bien, que nous ayons trouvé le juste équilibre dans cette loi s’agissant de la liberté d’association dans le cadre du contrat d’engagement et les ambiguïtés de vos réponses s’agissant de la compétence liée ou non du retrait de subvention n’aurons fait qu’accroitre le doute sur les risques pesants sur les associations dans un contexte de pénalisation des activités militantes. Nous ne sommes pas non plus convaincu par la rédaction de l’article sur la responsabilité des associations du fait d’autrui ou de l’un de ces membres, là aussi demeure dans la rédaction une ambiguïté. Une seule certitude, la liberté d’association ne sort pas renforcé de cette loi.

Nous avons la même inquiétude s’agissant de la pénalisation de la diffusion des informations personnelles sur les réseaux sociaux. Si nous comprenons parfaitement votre intention, nous ne pouvons que nous désolé que vous n’ayez pas accepté notre amendement directement inspiré de l’avis du Conseil d’Etat qui aurait explicitement dégagé la liberté d’informer du champ de cette disposition. De même, n’avoir pas distingué atteinte aux biens et atteintes aux personnes, ne pas avoir non plus hiérarchisé les risques et proportionnées les peines encourues posent une difficulté sérieuse dans la juste application de cet article. Je serais curieux de connaître les instructions de politiques pénales que le Garde des Sceaux adressera sur cette base aux parquets généraux.

Nous redoutons, enfin, l’imbroglio que ne manquera pas de créer votre réforme des lois de 1905 et de 1907 dont l’équilibre est d’évidence touché pour un résultat qui laisse dubitatif. Je ne vois aucun motif de passer du statut de 1901 à celui de 1905. Vous avez de fait institué un système de double déclaration qui n’est pas dans l’esprit de la loi de 1905 et vous avez créé de fait une troisième catégorie d’association cultuelle qui sera en apesanteur… Je ne suis certain que d’une chose, nous nous réservons bien des contentieux s’agissant de déterminer ce qui relèvera du cultuel et du culturel… cela à tout le moins donnera matière à la doctrine de débattre…

Mais, nous déplorons, par dessus tout que vous ayez réduit la République à des règles, des interdictions, des motifs d’ordre public et que vous n’ayez pas fait le choix de faire vivre au quotidien les principes de la République. Avec ce débat vous aurez offert l’occasion à la droite de parler du voile, de la théorie du genre, de l’écriture inclusive, d’islamo-gauchisme à l’université et j’en passe ; Les boulets turcs tombent sur Constantinople et nous ratiocinons sans fin tandis que nos murs s’écroulent. Ce texte ne nous aura en revanche pas permis de parler de discrimination qui frappe tant de nos concitoyens, de racisme qui blesse, d’intégration que chacun espère pour lui même ou pour ses enfants, de politique du logement alors que des centaines de maires violent la loi SRU depuis 20 ans, de ghettoïsation, de mixité sociale à l’école alors que grandir ensemble c’est aussi vivre ensemble, d’accès au service public, d’égalité, de justice… c’est pourtant là aussi que se niche le grand chantier du séparatisme, dans ces promesses non tenues de la République dont le Président de la République lui-même. Dans une forme de réparatisme. Nous avons, nous socialistes, toujours tenu dans la même main le combat laïque et le combat social. Les dissocier c’est prendre le risque de perdre les deux.

Sur tous ces sujets monsieur le ministre vous avez depuis trois ans et dans ce texte singulièrement choisi l’abstention. Nous sommes en première lecture, le débat parlementaire va se poursuivre, ce texte doit impérativement être rééquilibré et réécrit sur bien des points, l’abstention sera à ce stade la réponse à vos impasses.

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