Recours devant le Conseil constitutionnel sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

RECOURS DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LA LOI POUR LA LIBERTÉ DE CHOISIR SON AVENIR PROFESSIONNEL

 

 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l’honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l’article 61 de la Constitution, l’ensemble du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

 

Nous estimons que le projet de loi déféré contrevient à plusieurs principes et libertés constitutionnels, en particulier :

 

– sur la procédure, les principes de clarté et de sincérité du débat parlementaire, et le droit d’amendement ;

– sur le fond, les principes d’égalité devant la loi, d’égal accès à l’instruction et à la formation professionnelle, de liberté contractuelle, et l’article 34 de la Constitution.

 

Nous demandons, par voie de conséquence, à titre principal, au Conseil constitutionnel de déclarer inconstitutionnelle l’intégralité du présent projet de loi, et à titre subsidiaire, de déclarer inconstitutionnels ses articles et dispositions qui ont méconnu la Constitution.

 

 

I – Sur la procédure

 

  1. Sur l’absence de clarté et de sincérité du débat parlementaire

 

Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement l’importance du respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire qui découlent de l’article 6 de la DDHC et du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution.

 

En l’espèce, l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

 

  • Sur l’insuffisance d’étude d’impact

 

 

En vertu de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, les projets de loi doivent être accompagnés d’une étude d’impact précise et exhaustive. L’objectif est d’imposer au Gouvernement qu’il éclaire la représentation nationale sur les textes qu’il propose, qu’il en justifie les raisons et évalue leur portée.

 

Dans son avis sur le projet de loi rendu le 19 avril 2018, le Conseil d’État indique que « dans sa version initiale, l’étude d’impact est apparue, sur certains points, lacunaire ou insuffisante au regard des prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009. »

 

L’insuffisance de l’étude d’impact a donc inévitablement nuit à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

 

  1. b) Sur le contournement de l’obligation d’étude d’impact

 

Entre le dépôt du projet de loi et son adoption par les deux chambres, le Gouvernement a introduit 110 amendements au cours de l’examen parlementaire.

 

Pour la première lecture à l’Assemblée Nationale, le Gouvernement a déposé pas moins de 72 amendements, dont 38 amendements en commission et 34 amendements en séance. Loin d’être seulement des amendements de précision ou d’amélioration légistique, certains amendements modifient de manière substantielle des mesures présentes initialement dans le projet de loi ou en ajoutent de nouvelles, permettant de contourner l’obligation d’étude d’impact.

 

A titre d’exemple, on relève les dispositions suivantes :

 

–   Un amendement du Gouvernement n°AS 1849 de 8 pages a réécrit l’ensemble de l’article 17 sur le financement du système de formation professionnelle et d’apprentissage rendant caduque l’étude d’impact portant sur cet article.

–   Un amendement additionnel après l’article 10 (Amendement n° 1602) du Gouvernement a introduit une disposition sur le campus des métiers et des qualifications.

–   De même, par le biais de trois amendements en première lecture, le Gouvernement a introduit trois articles additionnels (articles 65 bis à 65 quater) relatifs au recrutement de contractuels dans la fonction publique.

–   On note enfin quatre amendements du Gouvernement modifiant de manière substantielle l’article 61 relatif à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes au stade de la commission.

 

En nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé 22 amendements dont 16 en commission et 6 en séance. Parmi ces amendements, on note l’amendement AS 206 modifiant entièrement la rédaction de l’article 33 du projet de loi afin de prévoir la négociation d’une nouvelle convention d’assurance chômage.

 

En utilisant ainsi son droit d’amendement pour introduire dans le projet de loi des articles significatifs ou modifier substantiellement des dispositions existantes, le Gouvernement s’est dispensé de l’obligation d’étude d’impact, de telle sorte que les exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires ont été méconnues.

 

 

  1. Sur la méconnaissance de l’article 45 de la Constitution

 

Il résulte de l’article 45 de la Constitution et de l’exigence et de cohérence des textes législatifs une prohibition des « cavaliers législatifs ». Ainsi, sur la base de cet article, le Conseil constitutionnel censure régulièrement les dispositions issues d’amendements qui ne présentent pas de lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis (Décision n° 2009-584 du 16 juillet 2009; Décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012).

 

 

 

  • Sur l’article 40 A relatif à la charte de responsabilité sociale pour les travailleurs des plateformes

 

 

En première lecture, un amendement n° 2072 du rapporteur a introduit un article additionnel avant l’article 40 ouvrant la possibilité pour les plateformes de mettre en place une charte de responsabilité sociale pour les travailleurs indépendants. Outre une mesure dont la valeur normative est inconnue, cet article doit être analysé comme dépourvu de tout lien, même indirect.

 

Preuve du caractère “cavalier” de la mesure, l’article 40 A a été introduit dans une Section 1 intitulée “Simplifier l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés”, elle-même insérée dans un Chapitre Ier “Favoriser l’entreprise inclusive”, compris dans un Titre I “Dispositions relatives à l’emploi”. Cet article ne peut donc être rattaché à une disposition présente initialement dans le projet de loi.

 

A titre subsidiaire, il apparaît selon les requérants que cet article ne répond pas à l’exigence constitutionnelle de normativité de la loi.

 

Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale …». Il résulte de cet article comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative.

 

Selon les requérants, l’article 40 A est dépourvu de portée normative.

 

D’une part, la charte de responsabilité sociale reste facultative pour les plateformes comme l’indique le troisième alinéa de l’article : “la plateforme peut établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale…” Il résulte de cette disposition que rien n’oblige les plateformes à mettre en place de manière unilatérale une telle charte.

 

D’autre part, la valeur juridique comme la portée normative de cette charte demeurent incertaines. La notion de “charte”, telle qu’introduit par cet article, pose la question de sa nature juridique et par voie de conséquence de son opposabilité. En outre, rien ne fait obstacle, en l’état actuel du droit, à la possibilité pour les plateformes de conclure de telles chartes pour encadrer les conditions d’exécution des prestations fournies par les travailleurs des plateformes. On note également que les plateformes sont aujourd’hui déjà dotées de “Conditions Générales d’Utilisation” dont l’objet est, précisément, de définir ces conditions d’utilisation de la plateforme tant pour les professionnels que pour les clients. Ces différents éléments mettent en évidence le caractère redondant des dispositions mises en causes.

 

Enfin, si l’article 40 A énumère les différents domaines pour lesquelles la charte peut intervenir pour encadrer la relation entre la plateforme et le travailleur (prix décent, compétences professionnelles, prévention des risques professionnels…), cette liste n’a pas de portée obligatoire et s’apparente donc à une déclaration de bonnes intentions.

 

En ce sens, l’article 40 A méconnaît l’exigence constitutionnelle de normativité de la loi.

 

Pour ces différents motifs, les requérants appellent le Conseil constitutionnel à censurer l’article 40 A du projet de loi.

 

  1. b) Sur les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater relatifs au recrutement d’agents contractuels dans la fonction publique

 

A l’occasion de l’examen en première lecture du projet de loi, le Gouvernement a introduit par le biais de trois amendements, trois articles permettant le recours aux contractuels sur des postes de direction dans les trois versants de la fonction publique. Après que le Sénat a supprimé ces dispositions, ces dernières ont été réintroduites en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale par le Gouvernement.

 

Selon les requérants, ces dispositions doivent être analysées comme dépourvues de tout lien, même indirect, avec le projet de loi.

 

Tout d’abord, le texte présenté concerne à titre principal la formation professionnelle, l’assurance chômage, ou encore l’emploi des travailleurs du secteur privé.

 

Ensuite, alors même que ces dispositions instaurent des règles dérogatoires au statut de la fonction publique en matière de recrutement, elles sont insérées dans un Chapitre V intitulé “Mesures relatives au parcours professionnel de la fonction publique”, lui-même compris dans un Titre III intitulé “Dispositions relatives à l’emploi”. Ces éléments sont de nature à caractériser ces dispositions comme des cavaliers législatifs.

 

Enfin, à l’appui de cette argumentation, on peut également se référer au Conseil d’État qui conclut son avis en ces termes à propos des dispositions initiales relatives à mobilité des fonctionnaires (articles 63 à 65) : « Compte tenu de ces difficultés, le Conseil d’État considère, en l’absence d’urgence, que la mesure proposée gagnerait à être approfondie et à s’inscrire, de préférence à titre expérimental, dans un projet de loi d’ensemble relatif à la fonction publique dans lequel elle trouverait mieux sa place. Il écarte par conséquent les articles du projet de loi qui s’y rapportent. »

 

Malgré cette alerte du Conseil d’État, le Gouvernement a maintenu ces articles dans le projet de loi déposé le 27 avril 2018 à l’Assemblée nationale.

 

Pour ces raisons, les requérants appellent le Conseil constitutionnel à censurer les articles 65 bis, 65 ter et 65 quater.

 

II – Sur le fond

 

1 – Sur la méconnaissance de l’article 34 de la Constitution

 

Sur le renvoi de la définition des règles au pouvoir réglementaire

 

La rédaction du projet de loi, qui renvoie de manière abusive à des décrets, méconnaît l’article 34 de la Constitution en laissant au pouvoir réglementaire le soin de fixer des dispositions qui sont d’ordre législatif, de telle sorte que le législateur a méconnu l’étendue de sa propre compétence.

 

L’article 34 de la Constitution prévoit que le législateur « fixe les règles » et « détermine les principes fondamentaux » dans les domaines énoncés à ce même article.

 

La publication « A la une » du site Internet du Conseil Constitutionnel de juillet-août 2014 apporte des précisions utiles sur le contrôle par votre juridiction des incompétences négatives. Elle indique : « La Constitution fixe en son article 34 le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel est attentif à ce que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative, notamment le pouvoir réglementaire, ou sur une autorité juridictionnelle le soin de fixer des règles ou des principes dont la détermination n’a été confiée qu’à la loi. Pour ne pas se placer en situation d’incompétence négative, le législateur doit déterminer avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles est mis en œuvre le principe ou la règle qu’il vient de poser. Il incombe, par exemple, au législateur d’assortir un dispositif mettant en œuvre un principe constitutionnel des garanties légales suffisantes. De même l’incompétence négative est également caractérisée si le législateur élabore une loi trop imprécise ou ambigüe. De même encore, le législateur ne peut pas renvoyer au pouvoir réglementaire de façon trop générale ou imprécise. »

 

Comme vous l’indiquez dans votre décision sur la loi de modernisation sociale (Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002), « il appartient au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution ». Le contrôle de l’incompétence négative signifie donc qu’il appartient à la loi de poser les règles essentielles de manière à encadrer l’autorité réglementaire.

 

En l’espèce, dans la version initiale du projet de loi déposé le 27 avril 2018, on dénombre 107 décrets pour 67 articles, soit une moyenne de 1,6 décret par article. La plupart des dispositions concernées par des renvois sont concentrées dans le Titre I relatif à la formation professionnelle et l’apprentissage. Or, la délégation au pouvoir réglementaire du soin de définir les règles ne peut se faire que dans le respect du domaine réservé de la loi garanti par l’article 34 de la Constitution. Sur ce point, plusieurs dispositions contenues dans le projet de loi sur portant sur des sujets variés témoignent d’une méconnaissance manifeste de l’article 34.

 

A titre d’exemple, plusieurs mesures révèlent l’ampleur de la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence :

 

  • Les dispositions relatives au nouveau dispositif « CPF-Transition professionnelle » qui remplace le congé individuel de formation (Article 1er alinéa 71 et 89) renvoient pour leur application à six décrets (condition d’ancienneté, modalités d’accompagnement, rémunération minimale).
  • Les dispositions fixant l’éventuelle revalorisation tous les trois ans des droits et des plafonds du compte personnel de formation (Article 1er alinéa 51).
  • Les dispositions fixant le taux de conversion en euros des heures antérieurement acquises sur par les salariés sur leur compte personnel de formation (Article 1er alinéa 178).
  • Les dispositions relatives aux travailleurs handicapés. Pour le calcul du nombre de bénéficiaires de l’obligation d’emploi, sont renvoyées à des décrets les modalités d’application des dispositions sur la prise en compte de l’effort consenti par l’entreprise en faveur des bénéficiaires qui rencontrent des difficultés particulières de maintien dans l’emploi (Article L. 5212-7-2 du code du travail).

 

Par conséquent, en renvoyant à de nombreuses reprises au pouvoir réglementaire le soin de fixer des règles relevant du pouvoir législatif, le législateur a méconnu l’étendue de sa propre compétence.

 

 

2 – Sur le principe d’égalité

 

  • Sur l’inadéquation entre les modalités de financement de l’assurance-chômage et les prestations servies (article 30)

 

 

L’article 30 du projet de loi supprime toute cotisation salariale pour le financement de l’assurance-chômage et lui substitue des impositions de toute nature, c’est-à-dire la Contribution Sociale Généralisée (CSG) en cohérence avec ce que prévoit la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2018.

 

Cette disposition place l’assurance-chômage dans la situation inédite de ne plus avoir la moindre part de cotisations salariales dans son financement. Or, l’absence de toute contribution salariale dans le financement d’un régime de protection sociale dont l’objet est presque exclusivement de servir un revenu de remplacement à caractère contributif produit une inadéquation entre les modalités de financement du régime et les prestations servies.

 

Comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n°93-325 DC du 13 août 1993, « les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale qui résultent de l’affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés » et par conséquent, « ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes » : il existe donc un lien essentiel entre les droits aux prestations et le financement par la cotisation.

 

Cette inadéquation entre mode de financement et type de prestations va être aggravée à partir du 1er janvier 2019 avec l’entrée en vigueur de la réduction des cotisations patronales sur les bas salaires, prévue par la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2018. Le financement de l’assurance-chômage est, considérant cette évolution, contraire au principe d’égalité, puisque selon la décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014 du Conseil Constitutionnel, peuvent être censurées de telles dispositions au motif qu’« un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime».

 

Le Conseil constitutionnel considère de manière constante que le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (Décision no 96-375 DC, Rec., p. 60).

 

En l’espèce, la rupture d’égalité n’est justifiée par aucune raison d’intérêt général. L’indemnisation des démissionnaires et des travailleurs indépendants, contenue dans ce projet de loi, ne requiert pas une telle évolution. En raison du nombre de conditions imposées à ces deux catégories de personnes pour bénéficier d’une allocation chômage forfaitaire, l’allocation des travailleurs indépendants ne représentera que 0,5% des ressources de l’assurance-chômage tandis que l’extension de l’indemnisation des démissionnaires représentera 0,75%. Le nombre de démissionnaires bénéficiaires ne se situera qu’entre 17 000 à 30 000, selon l’étude d’impact.

 

Cette évolution historique, contraire au principe d’égalité et source de perte de garanties pour les assurés sociaux, a été assumée par le président de la République lors de son discours au Congrès de Versailles le 9 juillet 2018 : « Par la réforme que vous avez votée, l’Assurance Chômage aujourd’hui n’est plus du tout financée par les cotisations des salariés. Elle est financée par les cotisations des employeurs et par la CSG. Cette transformation, il faut en tirer toutes les conséquences, il n’y a plus un droit au chômage, au sens où l’entendait classiquement, il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé. »

 

Le président lui-même confirme deux motifs d’incompatibilité entre la Constitution et cette disposition du projet de loi : l’inadéquation entre les modalités de financement du régime et les prestations servies est constituée, tandis que la rupture d’égalité est avérée puisqu’une partie des salariés ne donneront plus lieu, à partir du 1er janvier 2019, au versement d’une cotisation patronale.

 

  1. b)  Sur le mécanisme de modulation du taux de contribution patronale (article 29)

 

L’article 29 du projet de loi permet de moduler la contribution patronale d’assurance chômage en fonction du « taux de séparation », c’est-à-dire du nombre de fins de contrats donnant lieu à inscription sur la liste des demandeurs d’emploi, apprécié entreprise par entreprise.

En vertu de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité devant la loi, qui en résulte, ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (jurisprudence constante, v. inter alia 2010-3 QPC, 28 mai 2010, cons. 3, Journal officiel du 29 mai 2010, page 9730, texte n° 68, Rec. p. 97).

Le législateur a voulu préciser ce mécanisme de modulation du taux de contribution en permettant qu’il soit sectorisé. Une modulation par secteur d’activité qui ne tient pas compte du comportement individuel des entreprises peut être envisagée, s’il existe des motifs d’intérêt général qui justifient l’approche par secteur.

Lors de la discussion parlementaire en première lecture, le Rapporteur a indiqué que “la modulation par secteur économique qui serait réalisable grâce au code NAF (nomenclature des activités françaises) des employeurs permettrait en effet de tenir compte, dans la mise en œuvre du bonus-malus, des spécificités de chaque type de secteur en appréciant le nombre de fins de contrats par secteur et non au seul niveau national. Les activités dans lesquelles les fins de contrats sont proportionnellement plus nombreuses seraient donc moins pénalisées”.

 

Or, la modulation par type de contrat uniquement pour certains secteurs n’est pas justifiée. Une entreprise qui aurait recours à un contrat court serait plus taxée qu’une autre au seul motif qu’elle appartient à un secteur qui utilise davantage de contrats courts.

De plus, le législateur a prévu que la modulation du taux de contribution se ferait pour chaque employeur. Dès lors, l’employeur aux pratiques vertueuses appartenant à un secteur “ non vertueux” pourrait se voir appliquer un bonus. Toutefois l’employeur ayant les mêmes pratiques mais appartenant à un secteur “vertueux” n’aurait pas droit au bonus. Une telle différence de traitement n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant.

En définitive, le législateur a méconnu l’exigence constitutionnelle liée au principe d’égalité consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’alinéa 7 de l’article 29 de la loi déférée est donc contraire à la Constitution.

 

  • Sur la mobilisation des droits à la formation des demandeurs d’emploi (Art. 1 alinéa 102 à 105)
    En outre, l’article L. 6323-22 entre en contradiction manifeste avec les principes communs du dispositif énoncés à l’article L. 6323-2 du code du travail modifié qui indique : « Le compte personnel de formation est comptabilisé en euros et mobilisé par la personne, qu’elle soit salariée, à la recherche d’un emploi, travailleur indépendant, membre d’une profession libérale ou d’une profession non salariée ou conjoint collaborateur, afin de suivre, à son initiative, une formation. Le compte ne peut être mobilisé qu’avec l’accord exprès de son titulaire. Le refus du titulaire du compte de le mobiliser ne constitue pas une faute. »
    Ce faisant, elles créent une rupture d’égalité devant la loi s’agissant des règles mobilisation du compte personnel de formation, celles-ci devenant différentes selon le statut professionnel de l’individu.
    d) Sur l’appréciation de l’offre raisonnable d’emploi (Article 35)
    Cet article est ainsi rédigé :
    1° Un niveau de salaire inférieur au salaire normalement pratiqué dans la région et pour la profession concernée, sans préjudice des autres dispositions légales et des stipulations conventionnelles en vigueur, notamment celles relatives au salaire minimum de croissance ;2° Un emploi à temps partiel, lorsque le projet personnalisé d’accès à l’emploi prévoit que le ou les emplois recherchés sont à temps complet ;
    Selon les requérants, l’article 35 méconnaît donc le principe d’égalité devant la loi.

 

  1. 3° Un emploi qui ne soit pas compatible avec ses qualifications et ses compétences professionnelles.”

    Le Conseil d’Etat faisait remarquer dans son avis sur ce projet de loi que : “Le refus de deux offres raisonnables d’emploi constituant un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi, susceptible d’entraîner une suppression du revenu de remplacement, le moindre encadrement de leur définition par le législateur ne doit conduire à méconnaître ni le principe d’égalité, ni le principe de légalité des délits, applicable aux sanctions administratives (Conseil constitutionnel, décision n° 2006-535 du 30 juin 2006, considérants 34 à 38)”.

    L’article 35 procède à une réécriture complète de l’article de L. 5411-6-4 du code du travail aboutissant à un élargissement de la définition de l’offre raisonnable d’emploi. Il établit une définition par la négative de la l’offre raisonnable d’emploi en se fondant sur deux critères principaux : le niveau de salaire pratiqué dans la région et pour la profession concernée, et la compatibilité avec les qualifications et les compétences professionnelles.
    Ce faisant, les critères retenus instaurent une inégalité de traitement selon la région de résidence du demandeur d’emploi. De fait, une offre raisonnable d’emploi dans une région donnée ne sera pas considérée comme telle dans une autre région.

    Ainsi, en procédant à un élargissement la définition de l’offre raisonnable d’emploi et en retenant un critère territorial pour apprécier l’offre raisonnable d’emploi, la rédaction retenue par le législateur permet d’imposer aux demandeurs d’emploi des obligations et des sanctions différentes en fonction de leur lieu de résidence.

  2. “Art. L. 5411-6-4. – I. – Les dispositions de la présente section et du 2° de l’article L. 5412-1 ne peuvent obliger un demandeur d’emploi à accepter :
  3. La nouvelle rédaction de l’article L. 5411-6-4 du code du travail telle que prévue par l’article 35 du projet de loi méconnaît le principe d’égalité devant la loi.
  4. Selon les requérants, ces dispositions méconnaissent donc le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, et d’égal accès à la formation professionnelle.
  5. Alors que le salarié disposera de la liberté de mobiliser son compte personnel de formation pour suivre une formation, il résulte des dispositions contestées que le demandeur d’emploi se verra automatiquement débité de ses droits à la formation sans que ce dernier puisse donner son accord.
  6. « Art. L. 6323-22. – Lorsque le demandeur d’emploi accepte une formation achetée par la région, Pôle emploi ou l’institution mentionnée à l’article L. 5214-1, son compte personnel de formation est débité du montant de l’action réalisée, dans la limite des droits inscrits sur son compte, après que le demandeur en a été informé. Dans ce cas, ces organismes ou collectivités prennent en charge les frais pédagogiques et les frais liés à la validation des compétences et des connaissances afférents à la formation du demandeur d’emploi. Ils peuvent également prendre en charge des frais annexes hors rémunération. » ;

    Ces dispositions impliquent que les travailleurs privés d’emploi, contrairement à d’autres catégories de travailleurs, devront mobiliser obligatoirement leurs droits acquis au titre du compte personnel de formation pour financer des formations prescrites par Pôle Emploi ou les Régions. Une telle disposition est à rebours de l’esprit et la lettre du compte personnel de formation, construit comme un droit universel portable attaché à l’individu, indépendamment de son statut.

  7. La nouvelle rédaction de l’article L. 6323-22 du code du travail issu de l’article 1er du projet de loi méconnaît le principe d’égalité devant la loi, et plus précisément l’égalité dans l’accès la formation professionnelle, garantie par le treizième alinéa du Préambule de 1946.

    Ces dispositions sont les suivantes :

 

3 – Sur le principe de la liberté contractuelle

 

Lors de son discours devant le Congrès le 9 juillet dernier, le Président de la République a annoncé qu’un amendement du gouvernement serait présenté à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel pour que “ les partenaires sociaux révisent les règles de l’Assurance Chômage […] Le projet de loi avenir professionnel sera modifié en ce sens dans les prochains jours et ces règles seront négociées dans les prochains mois par les partenaires sociaux afin qu’une telle réforme puisse entrer en vigueur au printemps 2019 ”.

 

A ainsi été adopté l’article 33 de la loi n° … pour la liberté de choisir son avenir professionnel du …

 

Une telle disposition méconnaît le principe de la liberté contractuelle. Comme l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que, s’agissant de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » : une loi ne saurait donc porter une atteinte excessive à des accords collectifs antérieurs légalement conclus.

 

En adoptant cette disposition contestée, le législateur a entendu “lutter contre la précarité et inciter les demandeurs d’emploi au retour à l’emploi. Il propose de revoir l’articulation entre assurance et solidarité, le cas échéant par la création d’une allocation chômage de longue durée attribuée sous condition de ressources”.

 

En ouvrant une nouvelle négociation sur l’assurance chômage, le gouvernement remet en cause l’accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux le 22 février 2018.

 

Cette injonction à la négociation porte donc au principe de la liberté contractuelle une atteinte injustifiée.

 

L’article 33 de la loi déférée est donc contraire à la Constitution.

 

 

4 – Sur la méconnaissance de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction

 

Les articles 7 et 8 du projet de loi présentement déféré, en transformant l’apprentissage en direction des besoins directs des entreprises et en déconnectant le parcours des apprentis du parcours scolaire, est manifestement entaché d’incompétence négative en ce qu’ils risquent de conduire à une méconnaissance de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction.

 

L’alinéa 3 de l’article 7 modifie l’article L6211-1 du Code du travail, que définit la mission de l’apprentissage de la façon suivante : « L’apprentissage concourt aux objectifs éducatifs de la nation ». L’alinéa trois complète cette définition par la disposition suivante : « Il contribue à l’insertion professionnelle ». Ce faisant, le législateur met sur un même plan les objectifs éducatifs de la nation et l’insertion professionnelle. Cet article concourt donc à exclure les apprentis du champ ordinaire de la scolarité, en leur adjoignant d’autres objectifs que ceux requis par notre système scolaire.

 

L’article 8 complète le tournant amorcé en déconnectant la durée du contrat d’apprentissage de celle du cycle scolaire. En effet, le 3° de son II modifie l’article L. 6222-7-1 du Code du travail et permet de réduire à 6 mois la durée d’un contrat d’apprentissage, contre un actuellement. Ce faisant, le contrat d’apprentissage n’est plus lié au temps scolaire, pour correspondre à des besoins limités d’une entreprise qui ferait ainsi fi des nécessités du cycle de formation.

 

Le 1° du III permet à l’employeur de déroger à la durée de travail quotidienne de l’apprenti dans la limite de deux heures par jour, après information de l’inspecteur du travail et du médecin du travail ou du médecin chargé du suivi médical de l’élève. Ce faisant, l’apprenti est éloigné du temps scolaire et des nécessités de travail personnel de son cycle de formation.

 

Par ces trois dispositions, le pouvoir législatif a créé les conditions d’une inévitable rupture d’égalité.

 

Ces disposition, entachée d’incompétence négative, sont dans le même temps manifestement contraire au treizième alinéa du préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 en vertu duquel ” La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l’Etat. “

 

En éloignant les apprentis du parcours scolaire, ces dispositions méconnaissent l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction.

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